Celui qui regarde du dehors à travers une fenêtre ouverte, ne voit jamais autant de choses que celui qui
regarde une fenêtre fermée. Il n’est pas d’objet plus profond, plus mystérieux, plus fécond, plus
ténébreux, plus éblouissant qu’une fenêtre éclairée d’une chandelle. Ce qu’on peut voir au soleil est
toujours moins intéressant que ce qui se passe derrière une vitre. Dans ce trou noir ou lumineux vit la
vie, rêve la vie, souffre la vie.
Par-delà des vagues de toits, j’aperçois une femme mûre, ridée déjà, pauvre, toujours penchée sur
quelque chose, et qui ne sort jamais. Avec son visage, avec son vêtement, avec son geste, avec presque
rien, j’ai refait l’histoire de cette femme, ou plutôt sa légende, et quelquefois je me la raconte à
moi-même en pleurant.
Si c’eût été un pauvre vieux homme, j’aurais refait la sienne tout aussi aisément.
Et je me couche, fier d’avoir vécu et souffert dans d’autres que moi-même.
Peut-être me direz-vous : « Es-tu sûr que cette légende soit la vraie ? » Qu’importe ce que peut être la
réalité placée hors de moi, si elle m’a aidé à vivre, à sentir que je suis et ce que je suis ?
petits poèmes en prose. 1869.